Regards sur la guerre d'Espagne
Une rétrospective du photoreporter Centelles rend hommage aux républicains espagnols à la base sous-marine. Paco Ibañez y donnera vendredi soir un concert exceptionnel.
La garde d'assaut dans la rue de la Diputacio, le 19 juillet 1936.
Photo Agusti Centelles © Centro Documental de la Memoria Histórica
A Bordeaux, les murs de la base sous-marine résonnent d'un troublant écho. Quatre décennies d'histoire contemporaine rebondissent en réverbération sur le béton : à l'heure de la commémoration du 80e anniversaire de la proclamation de la IIe République espagnole, nul lieu d'Aquitaine n'était plus redevable que celui-ci envers les républicains d'outre-Pyrénées. Sortis de terre sur ordre de l'occupant allemand entre 1941 et 1943, les 40 000 mètres carrés de cet imposant bâtiment des quartiers nord de la ville avaient pour vocation de protéger les sous-marins de la 12e flottille de la marine de guerre allemande.
Pour sa construction, quelque 6 000 ouvriers furent réquisitionnés. La moitié d'entre eux étaient des républicains espagnols, réfugiés en France après la victoire des troupes du général Franco dans la guerre civile qui meurtrissait leur pays. Tous avaient été enrôlés de force dans les GTE (groupements de travailleurs étrangers) par le gouvernement de Vichy après la promulgation de sa loi sur « les étrangers en surnombre dans l'économie française ».
Une centaine d'entre eux ont péri lors des travaux de construction de cette base sous-marine. Les corps de certains, morts à la tâche, seraient même à jamais prisonniers du béton bordelais qu'ils avaient eux-mêmes coulé.
Prochainement, à l'initiative de deux structures (l'Association pour le mémorial pour les républicains espagnols et l'Association pour la défense des intérêts de Bacalan), un mémorial doit être installé en ces lieux désormais dévolus aux arts plastiques et à la photographie.
Le Robert Capa espagnol
Ce printemps, les deux derniers vétérans de cette page d'histoire, Ángel Villar et Juan Enrique Gonzáles, ont reçu un hommage officiel de la Ville de Bordeaux. C'était lors de l'inauguration d'une grande exposition, visible jusqu'au 10 juillet et qui réunit un fonds iconographique exceptionnel.
Surnommé « le Robert Capa espagnol », Agustí Centelles a pratiquement tout connu de la guerre civile de son pays, de laquelle il a réalisé plus de 4 000 clichés.
Né à Valence en 1909, Centelles a grandi à Barcelone et n'a pas 18 ans quand il débute sa carrière de photoreporter. Parmi les premiers à travailler avec un appareil Leica, il immortalise très tôt les premiers jours de la République espagnole. Ses images en saisissent les mutations sociales et politiques aussi bien que les insouciants instants de fête de la première moitié des années 1930 dans la Catalogne républicaine : les instantanés d'enfants célébrant les Rameaux côtoient des clichés des figures politiques de l'époque. Avec une esthétique plus proche de celle de Cartier-Bresson que de celle de Doisneau ou de Ronis. Un regard plus direct, aussi.
Un cliché légendaire
Lorsque, en octobre 1934, éclatent les « événements de Barcelone », ses clichés sont publiés dans de nombreux journaux et dans plusieurs pays. Dès lors, son métier devient une mission, fondée sur un dogme clair : « Ce que je faisais et voulais, expliquera-t-il plus tard, c'est que la photo ne soit plus un commentaire mais une affirmation… Voilà telle chose, un fait qui s'est produit, et la photo l'explique entièrement. »
Lorsque, le 18 juillet 1936, le coup d'État militaire conduit par Franco précipite l'Espagne dans la guerre civile, Agustí Centelles - passionnément engagé du côté des républicains - est le premier reporter à saisir les images des barricades et des combats dans les rues de sa ville. Devenu légendaire, son cliché des gardes de la Generalitat retranchés derrière des chevaux morts (voir ci-dessus) paraît à la une de « Newsweek ». Aujourd'hui encore, elle symbolise l'héroïsme des résistants.
Dans le village martyr de Belchite (« Treize jours de bataille dans une chaleur infernale et la puanteur des corps humains en décomposition »), sur le front d'Aragon, ou sur les ruines de Lerida après le bombardement, Centelles est partout et témoigne pour l'éternité (comme peu d'autres photographes dans le monde) de l'horreur de la guerre.
Comme plus d'un demi-million d'Espagnols républicains, il s'exile en France en février 1939, après la défaite des républicains. C'est à pied et dans la clandestinité qu'il franchit la frontière, portant deux valises remplies de négatifs et de tirages photo.
Engagé dans la Résistance française, il abandonne ce précieux chargement à une famille d'accueil à Carcassonne, avant de rentrer en 1944 à Barcelone. Il ne viendra le récupérer que trente-deux ans plus tard, pour le découvrir miraculeusement intact. Ce sont ces images qu'accueille actuellement la base sous-marine.
L'exposition « Agustí Centelles, photojournaliste (1931-1940), regard engagé dans la guerre d'Espagne », est ouverte jusqu'au 10 juillet, tous les jours sauf lundi et jours fériés, de 13 h 30 à 19 heures, à la Base sous-marine, boulevard Alfred-Daney à Bordeaux. Entrée libre. Tél. : 05 56 11 11 50. Parallèlement est présentée « Gernika, un peuple sous les bombes », exposition chronologique proposée par le musée de la Paix de Gernika et accompagnée d'une projection du court-métrage d'Alain Resnais « Guernica » (1949).
Pour sa construction, quelque 6 000 ouvriers furent réquisitionnés. La moitié d'entre eux étaient des républicains espagnols, réfugiés en France après la victoire des troupes du général Franco dans la guerre civile qui meurtrissait leur pays. Tous avaient été enrôlés de force dans les GTE (groupements de travailleurs étrangers) par le gouvernement de Vichy après la promulgation de sa loi sur « les étrangers en surnombre dans l'économie française ».
Une centaine d'entre eux ont péri lors des travaux de construction de cette base sous-marine. Les corps de certains, morts à la tâche, seraient même à jamais prisonniers du béton bordelais qu'ils avaient eux-mêmes coulé.
Prochainement, à l'initiative de deux structures (l'Association pour le mémorial pour les républicains espagnols et l'Association pour la défense des intérêts de Bacalan), un mémorial doit être installé en ces lieux désormais dévolus aux arts plastiques et à la photographie.
Le Robert Capa espagnol
Ce printemps, les deux derniers vétérans de cette page d'histoire, Ángel Villar et Juan Enrique Gonzáles, ont reçu un hommage officiel de la Ville de Bordeaux. C'était lors de l'inauguration d'une grande exposition, visible jusqu'au 10 juillet et qui réunit un fonds iconographique exceptionnel.
Surnommé « le Robert Capa espagnol », Agustí Centelles a pratiquement tout connu de la guerre civile de son pays, de laquelle il a réalisé plus de 4 000 clichés.
Né à Valence en 1909, Centelles a grandi à Barcelone et n'a pas 18 ans quand il débute sa carrière de photoreporter. Parmi les premiers à travailler avec un appareil Leica, il immortalise très tôt les premiers jours de la République espagnole. Ses images en saisissent les mutations sociales et politiques aussi bien que les insouciants instants de fête de la première moitié des années 1930 dans la Catalogne républicaine : les instantanés d'enfants célébrant les Rameaux côtoient des clichés des figures politiques de l'époque. Avec une esthétique plus proche de celle de Cartier-Bresson que de celle de Doisneau ou de Ronis. Un regard plus direct, aussi.
Un cliché légendaire
Lorsque, en octobre 1934, éclatent les « événements de Barcelone », ses clichés sont publiés dans de nombreux journaux et dans plusieurs pays. Dès lors, son métier devient une mission, fondée sur un dogme clair : « Ce que je faisais et voulais, expliquera-t-il plus tard, c'est que la photo ne soit plus un commentaire mais une affirmation… Voilà telle chose, un fait qui s'est produit, et la photo l'explique entièrement. »
Lorsque, le 18 juillet 1936, le coup d'État militaire conduit par Franco précipite l'Espagne dans la guerre civile, Agustí Centelles - passionnément engagé du côté des républicains - est le premier reporter à saisir les images des barricades et des combats dans les rues de sa ville. Devenu légendaire, son cliché des gardes de la Generalitat retranchés derrière des chevaux morts (voir ci-dessus) paraît à la une de « Newsweek ». Aujourd'hui encore, elle symbolise l'héroïsme des résistants.
Dans le village martyr de Belchite (« Treize jours de bataille dans une chaleur infernale et la puanteur des corps humains en décomposition »), sur le front d'Aragon, ou sur les ruines de Lerida après le bombardement, Centelles est partout et témoigne pour l'éternité (comme peu d'autres photographes dans le monde) de l'horreur de la guerre.
Comme plus d'un demi-million d'Espagnols républicains, il s'exile en France en février 1939, après la défaite des républicains. C'est à pied et dans la clandestinité qu'il franchit la frontière, portant deux valises remplies de négatifs et de tirages photo.
Engagé dans la Résistance française, il abandonne ce précieux chargement à une famille d'accueil à Carcassonne, avant de rentrer en 1944 à Barcelone. Il ne viendra le récupérer que trente-deux ans plus tard, pour le découvrir miraculeusement intact. Ce sont ces images qu'accueille actuellement la base sous-marine.
L'exposition « Agustí Centelles, photojournaliste (1931-1940), regard engagé dans la guerre d'Espagne », est ouverte jusqu'au 10 juillet, tous les jours sauf lundi et jours fériés, de 13 h 30 à 19 heures, à la Base sous-marine, boulevard Alfred-Daney à Bordeaux. Entrée libre. Tél. : 05 56 11 11 50. Parallèlement est présentée « Gernika, un peuple sous les bombes », exposition chronologique proposée par le musée de la Paix de Gernika et accompagnée d'une projection du court-métrage d'Alain Resnais « Guernica » (1949).
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